Je me souviens…

Je me souviens… de la mise en bouteille

Je me souviens… d’un magasin rue Paul Doumer à Arras, où se trouve actuellement mon coiffeur : « cinquième avenue » ; ce magasin vendait des bouchons en liège et tout ce qu’il fallait pour mettre le vin en bouteille. Il y avait en façade, un immense bonhomme tout en liège, d’environ 3,50 m de haut ; le propriétaire, établissement Legrand, le rentrait tous les soirs mais à cette époque c’était une sacrée curiosité.

Je me souviens… de la mise en bouteille – à cette période, il était de bon ton, pour les gens aisés, de mettre soi-même, son vin en bouteille. Mes parents , rue Jules Mathon, pratiquaient cette coutume.
C’était un certain travail et ma sœur s’en rappelle bien ; il fallait laver scrupuleusement les bouteilles, faire tremper les bouchons, avoir de la cire à cacheter, disposer d’un appareil à bouchonner etc. préparer la colle pour les étiquettes et lorsque le tonneau ou les tonneaux arrivaient, c’était déjà le commencement de la fête. Les tonneaux étaient descendus en cave pour quelques jours afin de faire reposer le vin : c’était presque un cérémonial cette mise en bouteille !
Papa et maman faisaient fondre la cire dans une boite alimentaire vide. La cave sentait la cire et cette odeur nous prenait à la gorge, on toussait, surtout moi !

Il fallait très délicatement, plonger la bouteille pleine, avec son bouchon, dans la cire . Certaines bouteilles cassaient car il se produisait une réaction de froid du goulot et de chaud de la cire !
Puis venait l’étiquetage et enfin, la dégustation…
Papa ne faisait que rentrer du Bourgogne avec un bouchon cire rouge pour les rouges, cire jaune pour les blancs.
Là encore, c’était le bon temps.
Pour les vins de bordeaux, la cire était verte.

Beaucoup plus tard, nous avons reproduit ces opérations dans notre cave sur la Grand’place au 66, avec notre cousin Gustave Varez (décédé en 2000). Je pense encore avoir quelques bouteilles de cette époque , dans ma jolie cave dont Jean-Luc en a appris les plus belles senteurs.

Je me souviens… du patriotisme

Je ne pense pas vous avoir entretenu du patriotisme et du caractère charismatique de mes parents :

Je me souviens… que papa était très patriote, très « cocorico », plus républicain que maman, qui elle, de souche paysanne, était royaliste (là encore, j’ai hérité d’elle et en suit fier).
A Arras, chaque fois que se produisait une manifestation militaire, papa, à la suite de mon grand père – déjà affirmé – m’ emmenait ; or, ce devait être en 1935, alors que j’étais au premier rang, place de la gare, juste devant le monument aux morts, est arrivé, venant d’Achicourt, un rassemblement de « croix de feu », nous avons entonné avec grande émotion la Marseillaise, hymne de notre France, notre Patrie.

Près de nous, se trouvait un ancien combattant en chaise roulante qui vibrait aux paroles de notre Marseillaise ; à côté un vil socialiste, Monsieur Petit qui habitait rue Gustave Colin, juste derrière la passerelle…
Que fit ce sinistre monsieur ? Il gifla l’ ancien combattant parce que ce dernier ne chantait pas « l’ international » – quel scandale.

Je me souviens… que papa voulut s’interposer, les croix de feu s’en mêlèrent et la police intervint.

Pour enseigner un peu mes enfants, un peu d’histoire :

En 1936, les anciens combattants, les nationalistes regroupés en 1927 par le Colonel François de La Rocque – officier de carrière, avaient quitté l’armée et en 1929, ce dernier adhéra aux croix de feu. Le 9 septembre 1943, il fut arrêté puis déporté or dès 1936, ce mouvement comptait plus de 400000 hommes !

Je vous ai parlé un peu plus en avant, de nationalisme chez mes parents…

Je me souviens… qu’étant rue Jules Mathon, dans le petit hall qui séparait la cuisine du couloir d’entrée, il y avait un grand portrait du Maréchal Philippe Pétain et, et oui, aussi, un grand portrait du Général de Gaulle – oh, pas l’un à côté de l’autre… ils se regardaient presque…

Papa a commencé à travailler assez jeune, à cette époque cela était naturel. Il demeurait à Lille dans le quartier de Wazemmes.
A noter, que mon grand père paternel se prénommait également comme son fils Achille. Mon grand père était né en 1865 et mourut en 1914 ; ma grand mère paternelle Clémentine Vanacke, elle naquit en 1861, et décéda à Arras en 1923, je n’ai donc que trop pu la connaître.

Bon, parlons un peu de 1905 : date de la séparation de l’église et de l’état.
On pillait les églises, on enlevait les crucifix des établissements nationaux, fermetures des écoles catholiques – en somme une persécution à la française !
Or , à cette époque, papa travaillait aux établissements Dambrine, négociants en vins, champagne sur Lille. La police de l’époque vint chez Dambrine pour perquisitionner. Papa n’eut le temps que de filer emportant dans ses poches une grande quantité de bouchons de champagne . Il courut jusqu’à l’église du Sacré Cœur, grimpa au clocher et a mitraillé la police avec ses bouchons… un nouveau gavroche de l’époque . Ensuite, il courut jusqu’au bois de Phalempin au sud de Lille, puis disparu de la circulation, tout rentra dans l’ordre par la suite.

Je me souviens… des cartes

Je me souviens … qu’étant jeune habitant du quartier Ronville, après la messe du dimanche, mes parents dégustaient un petit apéritif (à cette période, le dimanche représentait réellement un jour de fête). Parfois, en été, nous allions nous promener en famille et papa, lors de rencontres, se découvrait souvent pour saluer des connaissances. Papa portait un chapeau dit « boule » et curieux, je demandais à papa : « Qui est ce Monsieur ? » et il me répondait : « C’est untel » – c’est ainsi que j’ai appris la profession, la situation, la famille de nombreux Arrageois.
Exceptionnellement, nous prenions une consommation place de la gare, dans un café à la devanture de bois, sans étage, qui se trouvait à l’angle de la rue Gambetta, côté droit en descendant.
Nous aimions toutes les musiques mais de là à aimer l’accordéon, c’était différent !
Or, dans ce café, en entrant sur la gauche, il y avait un accordéoniste : cela donnait un air de gaîté et après cette distraction, nous étions tout heureux de rentrer à pieds par la passerelle (maintenant, partiellement détruite depuis l’ an 2000).

Papa aimait les jeux de cartes.

Je me souviens… que parfois, il allait jouer rue Pasteur, face aux anciens garage Schlosser (déjà cité) où il rencontrait Monsieur Verbeke, un fidèle ami ainsi que d’autres joueurs. Il faut savoir, qu’après sa retraite de la Banque Dupont, Papa a travaillé encore aux établissements « diffusion électrique », près dudit café. Aujourd’hui, toute cette rue a bien changé et c’est sans doute normal.
Monsieur Senechal était le patron de Diffusion électrique…

Papa a fait la guerre de 1914 / 1918 et il m’a raconté qu’il a été blessé par une balle allemande appelée « doum doum » (ce nom porte à rire, mais cette munition faisait de terribles dégâts : non content de traverser la peau comme une tarière, elle vrillait tout sur son passage), au bras droit, à l’endroit du biceps. Que la guerre est horrible ! –
Bref, papa avait donc le bras troué, et…

Je me souviens… même, que trente ans après, on pouvait encore rapprocher ses doigts de chaque côté de la blessure.
Papa fut prisonnier en la forteresse d’Herrenbreitschein au confluent de la Moselle et du Rhin, sur l’autre berge, face à Köblenz en Allemagne. Il ne dut la vie qu’à Saint Joseph qu’il priait toujours.
Un soldat allemand voulut l’achever en lui introduisant un objet dans la bouche pour se rendre compte si papa vivait encore… miracle, papa n’a pas bougé les dents et grâce à ce petit réflexe, il n’a pas été achevé, le soldat le croyant décédé.
Papa a ensuite, vécu dans un camp de prisonniers en Allemagne à Herrenbreitschein, il y jouait aux cartes, pour soutenir son moral, mais ne mangeait que très très peu. Grâce au chocolat, Papa survécu – j’ai sans doute hérité de lui !
Comme il gagnait aux cartes, il avait toujours sur lui quelques pièces d’or (car avant la première guerre mondiale, les principales monnaies de 59 pays, étaient convertibles entre elles grâce à l’or – aujourd’hui, à l’aube de 2002, nous allons hélas connaître la monnaie « Euro »).

Ah, le chocolat, avouons-le, je suce savoureusement presque tous les soirs , ma plaque de chocolat.

Je me souviens… d’un concert à Wemblay

Plus tard, je fis parti des orphéonistes à Arras et nous devions donner un concert à Wemblay (banlieu de Londres, célèbre pour son stade de foot, aux nombreuses coupes du monde), en Angleterre. C’était en 1963, nous avons pris le ferry-boat à Calais pour le port de Folkestone (GB).
Tous les orphéonistes et leur famille étaient superbement vêtus pour ce récital international.

Janine avait acheté un tout nouveau costume aux trois enfants… arrivés au port anglais, pour s’amarrer, le bateau a dû faire un demi tour, or nous étions en curieux, à la proue du navire, pour admirer la manœuvre, quand une immense, vraiment immense vague est venue déferler sur le pont du bateau où nous étions…
Nous nous sommes retrouvés trempés, surtout les garçons qui se trouvaient sur le bastingage… nous dûmes souffrir trois heures d’autobus pour rallier Wemblay, les costumes froissés, cartonnés et le soir, au concert ultra chic (tous les choristes anglais étaient en smoking) nous les français nous étions tous froissés et quelque peu déshonorés.

Je me souviens… qu’en revenant de cette escapade britannique, nous avons essuyé un très vilain temps sur le ferry-boat : un roulis peu coutumier, tous nous étions malades, et çà vomissait de partout.

Je me souviens… que l’épouse de Monsieur Schlosser, un orphéoniste, était couchée à même le sol et me disait , « Monsieur Caby, je ne sais pas où est mon mari sur le bateau, prenez mon sac à main car je vais mourir ».
Personnellement, Janine et les enfants, avons fort bien tenu le coup !

Je me souviens… que ce bateau s’appelait le Saint Patrick et Monsieur Ambre, le père de José (fameux patoisant renommé) qui était poète , pour nous redonner le moral, chantait des chansonnettes en patois.

Voilà quelques faits très divers.
Si vous voulez savoir la fin, ne feuilletez pas cette biographie qui n’est pas finie, elle se poursuivra jusqu’à la fin de ma vie.

Méta