Je me souviens…

Je me souviens… de ma chérie (2)

Je me souviens… est un témoignage personnel.

Heureusement, mes enfants sont restés avec moi. Jean-Luc, depuis 1644 jours à ce jour, vient me voir quotidiennement – Francis et Catherine me téléphonent et m’invitent à manger parfois – Philippe vient me rendre visite régulièrement tous les dimanches en sortant de la messe : tout cela est bien ! C’est normal, mais malgré cela, il me manque la présence de mon épouse chérie.
Je continue à l’aimer, même plus avant.
Qu’ai-je fait pour provoquer cette séparation ? Elle doit, avec le recul du temps, la regretter… Il n’est jamais trop tard pour revenir !
Il faut reconnaître que ma chérie a sa totale indépendance et que de cela, elle en profite pleinement. Elle vit dans un appartement plus que grand, magnifique, en résidence luxueuse à Chantilly en la commune de Sainte Catherine les Arras, à environ 300 mètres de moi !
Depuis notre séparation, chérie a changé deux fois de voiture et s’est offert de nombreux voyages (le Canada entre autres) – croisières en Méditerranée et dans les Caraïbes (en Turquie, Palestine, Chypre, Egypte puis en Martinique) etc. – plus rien à demander, plus personne à qui rendre des comptes : la liberté – n’étant que très peu chez elle !

Arrêtons là nos doléances car maintenant, elle semble passer une mauvaise passe sur le plan santé. Elle consulte docteurs sur docteurs, spécialistes, rebouteux, kinés que sais-je encore… se rend en Belgique pour entrevoir une certaine médecine chinoise, elle a fait plusieurs cures thermales etc. mais elle demeure malade et souffre beaucoup.
Le 6 août 1999, les spécialistes lui ont mis une poche pour évacuer car son rectum était en phase d’infarctus aigu, tout cela au centre hospitalier d’Arras ; que tout cela est pénible… Elle a supporté l’opération avec courage. Elle a supporté cet état très dignement avec tous les aléas que son etat physique lui imposait : toujours des sacs, des sacs pour évacuer, qui collaient au ventre sur le côté droit.

Bref, le vendredi 4 février 2001, elle est à nouveau entrée à la clinique de Sainte Catherine ; opérée par la chirurgienne mademoiselle Fournier, elle en est ressortie en meilleur état – merci mon Dieu.
Chérie a bien souffert, elle a bien crié sur son lit mais avec de la patience tout est rentré dans l’ordre ; cependant fin mars 2000, Janine souffrait à nouveau du ventre terriblement côté droit ! Elle faisait souvent 40 de températures…

Elle a donc été admise une nouvelle fois le 6 avril en la clinique de Sainte Catherine : on lui a fait une laparotomie le 10 avril 2000, car elle avait des abcès sur les intestins. Bien entendu, elle a énormément souffert, appelant d’urgence la nuit Jean-Luc et Danielle.
Ce vendredi 14 avril, elle souffre encore, plus légèrement toutefois car la température a baissé.
Je vais la voir tous les jours et prends souvent le bus.
Je l’adore.

Je me souviens… de mes 77 ans

Passons à des faits plus gais :

Je me souviens… et ce n’était pas bien vieux, puisqu’en 1999, je me souviens que le 18 juin – Philippe et Jean-Luc m’ont invité au restaurant Le Régent à Saint Nicolas les Arras ; tout était organisé par mes deux garçons, même le feu d’artifice sur le gâteau, au dessert, pour l’anniversaire de mes 76 ans ! Il fit très bon et nous avons dîné aux chandelles, sur la terrasse attenantes à la Scarpe. Ce fut là un bien meilleur souvenir.

Le lendemain, 77 ans acquis, ma chérie m’offrait une mini croisière à Calais, nous avons mangé, dansé jusqu’à deux heures du matin sur un luxueux bateau navigant sur la mer du nord, jusqu’au port anglais de Folkestone. Ce fût féerique !

J’aime évoquer ces bons moments passés avec ma chérie, et il y en a… et cependant depuis le 2 novembre 1995, nous sommes séparés…
Une bien curieuse situation car depuis 1995, nous nous voyons, nous nous téléphonons au moins deux fois par jour, surtout depuis 1997 ! Nous sommes allés en vacances à deux en Vendée ; nous sortons souvent au restaurant (surtout sur Béthune et Calais). Janine vient me voir très souvent et je vais chez elle – mais nous sommes malheureusement séparés et ne vivons plus totalement ensemble !!!
Encore ce matin, ce 17 avril 2000, chérie m’a appelé la première de la clinique où elle est pour une seconde opération des intestins…

Il me faut beaucoup de patience ; je n’ai pas perdu l’affection de ma grand chérie mais la fausse amitié de tous nos voisins (qui se sont tout ligués contre moi), même celle d’Yvette me pèse. Je le regrette.
J’ai bien pleuré chaque jour depuis cinq ans – j’ai supplié le Seigneur et surtout la Sainte Vierge de Fatima, de me rapprocher de mon épouse… Maintenant, attendons.

Je me fais parfois la cuisine mais je ne mange pas tous les jours et je perds de temps en temps le courage. Pourtant il nous arrive de faire nos courses ensemble : j’achète de la viande et ma chérie me la mijote « chez elle » et me la rapporte avec de petites choses – de mon côté, je la gâte énormément.
En saison des fraises et des framboises (qu’elle adore), les samedis je lui offre des tropéziennes, des fleurs… du foie gras car je l’adore et ça je m’en souviens.

Je me souviens… d’un bombardement

Je me souviens… que lorsque je désirais revenir sur Arras (environ 50 kilomètres) j’allais voir le fameux docteur Pruvost d’Estrée-Blanche – il ne prenait pas la peine de me demander ce qu’il n’allait pas, et me disait « Tu as mal au ventre ? Je vais te donner huit jours de repos ! » C’est bien ce que je voulais pour retourner près de mes parents et surtout de ma promise… ma chère Janine !

J’ai été témoin d’un impressionnant bombardement par l’aviation anglaise ciblant le chemin de fer d’Estrée. S’y trouvait un camon allemand gigantesque, et les Anglais cherchaient à le détruire. J’étais dans la grande maison Beaussart sise à quelques mètres de la voie ferrée et me demande encore pourquoi je suis allé chercher un petit banc dans la maison voisine pour contempler ce spectacle de guerre ? pour m’asseoir près d’un tunnel !!!
Je n’étais pas assis, que le bombardement a fait rage. Heureusement rien sur le tunnel, mais lorsque j’en suis sorti, la grande maison d’oncle Abel était détruite, le jardin labouré, j’ai pu compter les morts et moi, j’étais sauf !!!

Je me souviens… que l’on identifiait les gens en ramassant les têtes, les rassemblant aux corps déchiquetés, plus loin – c’était horrible mais hélas, je me souviens bien de tout cela !

Je me souviens… de la mine

Ah, je vais vous dire que dans les années 1944 / 1945 j’ai été mineur de fond. Pourquoi ?
Pour ne pas partir en Allemagne aux travaux forcés au bénéfice de l’ennemi. Le Reich réquisitionnait tous les jeunes, sauf ceux qui étaient mineurs.
Or, nous avions un grand oncle, et un grand cousin qui travaillaient près d’Estrée-Blanche (sur la chaussée Brunehaut), aux houillères nationales en qualité d’ingénieurs.
Bien, même très bien, car il fallait que j’aille travailler à la mine, moi qui n’était pas manuel mais plutôt intellectuel. Bref, je suis arrivé à Estrée-Blanche, excellemment reçu, gâté, oui plus que gâté durant ce séjour forcé. Oh oui je m’en souviens…Je suis donc descendu dans la fosse du Transwald. Nous descendions pour extraire le charbon à près de 1700 mètres de profondeur. Ce fut horrible : s’habiller d’un bleu de travail, se coiffer d’un bonnet et d’une barrette, se déshabiller complètement devant les autres dans la salle « des pendus » (là où nos vêtements sont suspendus sur des cintres qui montent au plafond)…, se faire laver le dos et sur toutes les parties du corps par son voisin etc. enfin, descendre rapidement à cette extrême profondeur froide, noire, glauque toujours en pleine nuit… entendre les chaines et les bruits assourdissant des wagonnets chargés de charbon etc. j’avais peur !
Mais dans le fond : j’avais un bon boulot car rappelez-vous qu’en cette période de guerre, notre pays, dès la sortie du puits de mine, était occupation allemande.
Les mineurs avaient plus de ravitaillement que les autres civils ! Il fallait qu’ils travaillent dur pour abattre le charbon destiné à l‘Allemagne, pour leurs usines d’armement. Et surtout, il était défendu de faire de la politique avec les Anglais, naturellement contre les Allemands !

Afin d’établir une certaine vaine sécurité dans les galeries, il y avait un délégué mineur qui passait son temps à circuler dans les galeries afin d’écouter les mineurs quant à leurs revendications vis à vis des risques du métier pris, ainsi que de l’élémentaire nécessaire pour exécuter ce travail de force, exténuant pour ma petite nature.
En principe, ce pourvoyeur de renseignements était un homme âgé, mur, proche de la retraite. Cet homme en temps de guerre (même au fond) devait être accompagné par un autre « porrion » (un mineur, en langage du métier), afin d’éviter absolument toute conversation politique.
Et cet homme, bien que très jeune : ce fut moi, oui moi.
J’avais eu cette place grâce à ma famille d’Estrée-Blanche, grâce à mon oncle Abel !
Mais un matin, vers les 5h00, on me dit : « Caby – tu iras voir le maître porrion en bas  » – mon convoyeur s’appelait Bajolle…
Je m’y rendis – il me dit alors : «tu iras à tel endroit pour ramasser le charbon et remplir les wagonnets ».
J’y suis allé mais il ne m’a pas fallu bien longtemps pour sentir et voir mes mains en sang, à cause de la dureté à cette tâche – je n’avais pas l’habitude de manier une large et lourde pelle… et puis, il fallait faire vite, le charbon était trop lourd pour moi.
Bref, les mineurs me comprirent, cependant, il fallait remplir tout de même les wagonnets !
Lorsque je suis remonté à l’air libre vers les 14h00, je suis allé tout de suite aux grands bureaux où m’attendait mon cousin Marcel Anselin. Il me dit : « tu as vu, ce que c’était le travail pénible de mineur, on t’a fait une farce, rassures- toi, tu ne feras plus jamais ce travail ! »
Ouf, Merci mon Dieu, ah oui, je m’en souviens…

A part cet incident : le premier dimanche où je travaillais, on travaillait tous les jours, j’allais manquer la messe. Je me tenais, les mains appuyées sur les énormes tuyaux d’aération, tunnel d‘où l’on pouvait remonter les hommes en cas de sinistre !
Bref, par une mauvaise manœuvre de deux tuyaux (on les appelait les Canards), je me suis coincé le majeur de la main droite ; le sang a giclé et j’ai du remonter rapidement à la surface, me rendre chez le docteur Pruvost etc. etc. La coupure du doigt est toujours marquée après tant d’années… depuis 1944 !

Je me souviens… n’avoir pas été trop malheureux à Estrée. Les cousines Irène et Louise me gâtaient. Oncle Abel, était un Bon Oncle !

Nous nous sommes regroupés avec les fils de la famille Dequidt, brasseurs ainsi qu’avec un lointain cousin Roger Remoissenet – nous étions à quatre pratiquement tous les jours. Nous organisions des sorties à vélo, puis des banquets et des concerts pour les prisonniers de guerre, des danses aussi etc.
Le peu que nous touchions des Houllières, était réservé aux œuvres, aux sorties et au tabac – et pourquoi pas l’avouer au Genièvre…
Nous buvions souvent des « mélécass » : quelques gouttes de cassis arrosées de genièvre de Houlle.
Nous avons ainsi vécu de bonnes parties. J’avais personnellement des cartes d’alimentation et du tabac supplémentaire grâce à notre Tata Mone (cette sainte femme).
Et les S.T.O (service travail obligatoire) revendaient pas mal de choses.

Finalement, je ne travaillais plus beaucoup au fond de la mine…

Méta